Summary: | La baie de Baffin est une voie importante d'exportation d'eau douce de l'Arctique vers l'Atlantique Nord. Les exercices de modélisation climatiques suggèrent que le réchauffement climatique s'accompagnera d'une augmentation de l'exportation d'eau douce l'Arctique ce qui affecterait le taux de formation de la masse d'eau de la mer du Labrador (LSW) et la circulation océanique globale. L'étude paléocéanographique de la baie de Baffin est donc pertinente afin de prévoir l'impact des changements climatiques à des échelles régionale et globale. Dans ce contexte, l'objectif de la thèse est de reconstituer les conditions océanographiques et climatiques de cette région pendant le dernier cycle glaciaire-interglaciaire (~ 115-0 ka). Plus précisément, il s'agit de documenter la variabilité spatio-temporelle de la circulation océanique, notamment les apports d'eau de fonte des glaciers pendant les épisodes de réchauffement. Les chapitres présentés dans la thèse tentent de répondre à ces questions à partir de l'analyse de carottes sédimentaires. Le premier chapitre porte sur une séquence sédimentaire du nord-ouest de la mer du Labrador couvrant les derniers 36 000 ans. Le deuxième chapitre concerne une séquence du centre de la baie de Baffin enregistrant les derniers 115 000 ans. Enfin, le troisième chapitre porte sur la déglaciation et postglaciaire, soit les derniers ~ 15 000 ans dans le nord-ouest de la mer du Labrador, le détroit de Davis, et les régions est et centrale de la baie de Baffin. Les objectifs principaux poursuivis sont les suivants : (1) reconstituer les conditions de surface de l'océan, y compris les températures estivales et hivernales, la salinité, la productivité primaire et la couverture de glace de mer; (2) caractériser la variabilité temporelle de la température, de la salinité et du carbone inorganique dissous de la masse d'eau intermédiaire afin de retracer la stratification et la ventilation dans la colonne d'eau; (3) établir des relations entre les changements paléocéanographiques de la baie de Baffin et la circulation dans l'Atlantique Nord et le climat. Ces objectifs de recherche ont été atteints et nous avons pu retracer la chronologie des changements paléocéanographiques de la baie de Baffin au cours des derniers ~ 115 000 ans. Pendant la majeure partie du dernier intervalle glaciaire, la baie de Baffin a été occupée par une couverture de glace continue. Cependant, une advection d'eau Atlantique par le détroit de Davis semble caractériser certains intervalles froids (stadiaires) et chauds (interstadiaires). Des valeurs élevées du δ18O des foraminifères planctoniques (Neogloboquadrina pachyderma senestres; Npl) et des foraminifères benthiques (> +4%o) suggèrent qu'une seule masse d'eau froide et salée d'origine Atlantique était présente sous la couche de mélange lors des stades isotopiques 5d et une partie des stades 3 et de la transition 2/1. Une couverture de glace de mer pérenne a été déduite de la faible productivité de foraminifères et de l'absence de dinokystes. De faibles valeurs du δ18O-Npl (+2,6 à +3,6%o) lors d'épisodes des stades 5c, 5a, 3 et lors de la transition 2/1 sont enregistrées à des niveaux également marqués par des abondances relativement élevées de dinokystes, ce qui laisse supposer la pénétration épisodique d'une masse d'eau Atlantique un peu plus chaude ou une ouverture occasionnelle du couvert de glace de mer. Pendant le dernier maximum glaciaire et lors de la transition vers l'Holocène, le nord-ouest de la mer du Labrador était couvert de glace de mer tel qu'illustré par la faible abondance des dinokystes et des valeurs élevées du δ18O-Npl. Les événements de Heinrich 1 et 2 ont y ont été marqués par des faibles teneurs en δ18O qui indiqueraient une production élevée de glace de mer. En raison de conditions froides et de la proximité de la calotte Laurentidienne, le Bølling-Allerød et le Dryas récent ne se sont pas accompagnés d'enregistrement particulier à une échelle régionale. La déglaciation, caractérisée par une diminution du couvert de glace de mer de pérenne à saisonnière, s'est établie progressivement du sud vers le nord, soit de la mer de Labrador vers la baie de Baffin. La séquence d'événements a été la suivante. De ~ 12 à 7,5 cal ka BP, le nord-ouest de la mer du Labrador a connu un changement très important des conditions de surface, avec des températures d'été élevées (~ 11°C) mais froides en hiver (~ 0°C), une couverture de glace de mer de près de 3 mois par an et une faible salinité (~ 28) Les forts gradients thermiques saisonniers auraient été une conséquence de la forte stratification due aux apports d'eau de fonte de la calotte glaciaire Laurentidienne. Dans le secteur est de la baie de Baffin, à environ 9,5 cal ka BP, une augmentation de salinité de surface de 28 à > 32 et une diminution du couvert de glace de mer sont enregistrés, sans doute en relation avec le retrait des marges de la calotte glaciaire du Groenland, notamment dans Disko Bugt. Par la suite, plusieurs changements sont survenus à environ 7,5 cal ka BP. Dans le nord-ouest de la mer du Labrador, les conditions interglaciaires actuelles se sont établies suite à l'augmentation de la salinité qui a atteint environ 34, s'accompagnant d'une augmentation des températures hivernales en dépit d'étés plus frais. Cette transition est associée à de moindres apports d'eau de fonte, une stratification réduite et une augmentation de la pénétration des masses d'eau de l'Atlantique Nord en surface. De telles conditions sont favorables à la convection hivernale et à la formation de la masse d'eau de la mer du Labrador (LSW), dont témoignent par ailleurs des valeurs élevées du δ13C-Npl. Dans l'est de la baie de Baffin, le réchauffement de surface en hiver et des salinités plus élevée ont conduit à une forte réduction de la durée de la couverture de glace de mer et de la productivité primaire. Les enregistrements du centre de baie de Baffin indiquent également une advection accrue des eaux de l'Atlantique Nord en surface pendant le postglaciaire, mais avec une réponse fortement atténuée par rapport au secteur est. Ces résultats suggèrent de grandes fluctuations des conditions de surface marines à l'Holocène, différentes dans les secteurs hauturiers et côtiers, mais étroitement contrôlées par le courant chaud de l'ouest du Groenland et froid de la Terre de Baffin. ______________________________________________________________________________ MOTS-CLÉS DE L’AUTEUR : paléocéanographie, paléoclimatologie, baie de Baffin, mer du Labrador, glaciaire, Holocène, dinokystes, foraminifères, isotopes de l'oxygène et du carbone
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