Télévision

Les études anthropologiques de la télévision relèvent d’un domaine en pleine expansion depuis le début des années 2000 : l’anthropologie des médias (media anthropology, plus développée dans les travaux anglophones que francophones). En prise avec les aspects les plus modernes et globalisés des commu...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Henrion-Dourcy, Isabelle
Format: Dataset
Language:French
Published: Editions des archives contemporaines (EAC) 2016
Subjects:
Online Access:https://dx.doi.org/10.17184/eac.anthropen.028
https://www.anthropen.org/voir/T%C3%A9l%C3%A9vision
Description
Summary:Les études anthropologiques de la télévision relèvent d’un domaine en pleine expansion depuis le début des années 2000 : l’anthropologie des médias (media anthropology, plus développée dans les travaux anglophones que francophones). En prise avec les aspects les plus modernes et globalisés des communautés ethnographiées, ces travaux confrontent l’anthropologie classique, enracinée dans la petite échelle des rapports sociaux de proximité, sur les plans à la fois théoriques et méthodologiques (Dickey 1997; Spitulnik 1993; Askew 2002). La production centralisée de ces contenus culturels dépasse largement la dimension locale et les généralisations à partir des ethnographies de la réception sont malaisées à formuler. Contrairement à l’imprimé et à Internet, qui excluent les illettrés, la télévision se veut plus « démocratique », à la portée de tous. Certes concurrencée en Occident par Internet, la télévision reste dans les sociétés non occidentales, où le taux d’alphabétisation est variable, le médium de masse de référence. Elle occupe une partie importante du temps et de l’espace domestique et elle reste l’écran privilégié sur lequel sont projetées des questions cruciales telles que la construction nationale et les reconfigurations identitaires. Les propositions théoriques de l’anthropologie des médias sont principalement politiques, et elles ont largement puisé à l’extérieur de l’anthropologie (Henrion-Dourcy 2012) : aux Cultural studies (études de la réception, publics actifs) aux études de la communication (construction du champ médiatique, rapport au champ politique national ou global, études d’impact) à la Social theory (opposition structure/pouvoir d’agir, théories de la gouvernance) à la sociologie (sphère publique, mouvements sociaux) à l’économie politique (car la télévision est avant tout une industrie culturelle) aux Postcolonial studies (étude critique de la modernité comme rapport à l’Occident post/colonisateur) aux théories du développement à celles de la globalisation (homogénéisation versus hétérogénéisation culturelle, impérialisme culturel, hybridité, modernités alternatives) et enfin aux théories du transnationalisme (loyautés multiples, identités flexibles). L’anthropologie des médias est donc intrinsèquement pluridisciplinaire. La télévision est produite en masse, mais consommée dans l’intimité des foyers. C’est la complexité de cette situation qui conduit les chercheurs à assembler des influences théoriques issues d’horizons divers. Les études proprement anthropologiques de la télévision ont débuté par la publication, dès le début des années 1980, d’articles épars où des anthropologues, familiers de longue date avec un groupe particulier, tentaient de faire sens de l’irruption subite de la petite lucarne sur leurs terrains d’enquête, un peu à la façon d’une comparaison qualitative « avant/après » (Granzberg et Steinberg 1980 chez les Algonquins; Graburn 1982 chez les Inuits; Kent 1985 chez les Navajos Lyons 1990 au Bénin Pace 1990 en Amazonie brésilienne). A la suite de quelques monographies marquantes (Naficy 1993 sur les immigrés iraniens de Los Angeles Gillespie 1995 sur les immigrés indiens du nord de l’Angleterre), l’anthropologie de la télévision a décollé au tournant des années 2000 grâce aux cinq figures importantes du Program for Culture and Media de la New York University : Ginsburg, Abu-Lughod et Larkin (2002), Abu-Lughod (2004) ainsi que Mankekar (1999). Le titre de ce dernier ouvrage résume d’ailleurs bien le propos de l’anthropologie de la télévision : « un écran sur lequel se projette la culture et un espace d’où l’on peut voir le politique » (Screening Culture, Viewing Politics). Il faudrait ajouter que le propre de la télévision est aussi de travailler ces deux dimensions macrosociales dans l’intimité de la famille. Les thèmes principaux de ces recherches touchent donc essentiellement aux ‘représentations culturelles’ et à leurs reconfigurations. On y observe comment les producteurs et les spectateurs sont amenés à mettre en lumière, débattre, contester ou négocier des représentations relatives à la modernité (Abu-Lugho 2004), aux imaginaires politiques (Mankekar 1999), à l’autoreprésentation pour les groupes minorisés (Henrion-Dourcy 2012), aux rapports de genre (Werner 2006), aux désirs, affects et valeurs morales, surtout dans les fictions (Machado-Borges 2003), et enfin à la circulation transnationale de contenus symboliques (dans le cas de diasporas ou de téléséries produites sur un continent et consommées sur un ou plusieurs autres : Werner 2006). Les formats des productions télévisuelles se retrouvent certes aux quatre coins du monde : le bulletin d’information aux heures de grande écoute, les séries mélodramatiques en journée, la téléréalité en prime-time, et les talk-shows en fin de soirée. Mais le contenu de ces formats familiers, et surtout la réception qui en est faite, révèlent à chaque fois des spécificités culturelles locales. Songeons notamment à l’émission de téléréalité Afghan Star (une saison annuelle depuis 2005), diffusée dans et pour un pays en guerre, et dans un rapport tendu avec certaines représentations de l’Occident, et où les relations entre les genres sont très codifiées.