Les enjeux de la réforme du Sénat canadien

Les provinces de l’Ouest et Terre-Neuve défendent un projet de réforme du Sénat canadien basé sur le modèle « Triple E », c’est-à-dire un Sénat « élu, égal et efficace » (elected, equal and effective), où chaque province serait représentée par le même nombre de sénateurs, ces derniers étant élus au...

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Bibliographic Details
Published in:Revue générale de droit
Main Author: Woehrling, José
Format: Text
Language:French
Published: Éditions Wilson & Lafleur, inc. 1992
Subjects:
Online Access:http://id.erudit.org/iderudit/1057477ar
https://doi.org/10.7202/1057477ar
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institution Open Polar
collection Érudit.org (Université Montréal)
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description Les provinces de l’Ouest et Terre-Neuve défendent un projet de réforme du Sénat canadien basé sur le modèle « Triple E », c’est-à-dire un Sénat « élu, égal et efficace » (elected, equal and effective), où chaque province serait représentée par le même nombre de sénateurs, ces derniers étant élus au suffrage universel direct. En outre, ce nouveau Sénat, ainsi revêtu d’une légitimité démocratique semblable à celle de la Chambre des communes, devrait exercer des pouvoirs comparables à ceux de cette dernière. L’auteur examine cette proposition à la lumière du droit comparé américain, australien et allemand. Il aboutit à la conclusion qu’elle doit être rejetée, dans la mesure où elle entraînerait des effets négatifs, non seulement pour le Québec, mais également pour l’ensemble du Canada. En effet, l’égale représentation de toutes les provinces au Sénat serait inacceptable sur un plan démocratique, puisque les six plus petites provinces détiendraient ensemble 60 % des voix au Sénat, alors qu’elles ne représentent que 17 % de la population canadienne. Si l’on écarte l’égalité de représentation, une autre solution pourrait consister à augmenter la proportion des sièges attribués aux provinces de l’Ouest. Cependant, cela supposerait forcément une diminution de la proportion des sièges du Québec, que celui-ci ne saurait accepter. En outre, bien qu’éminemment démocratique, l’élection des sénateurs entraînerait de graves inconvénients dans le contexte d’un système parlementaire de type britannique, caractérisé par le principe de la responsabilité ministérielle, le bipartisme et la discipline de parti. En effet, si le gouvernement est majoritaire dans les deux Chambres, la discipline de parti fera en sorte que le Sénat se contentera d’entériner les décisions adoptées par la Chambre des communes. Dans cette hypothèse, l’existence du Sénat se trouvera donc dépourvue d’utilité. Au contraire, si le parti politique qui est majoritaire à la Chambre des communes — et qui forme le gouvernement — est en minorité au Sénat, les deux Chambres s’opposeront et se neutraliseront mutuellement. Autrement dit, si les sénateurs sont élus, la discipline de parti les amènera à voter en s’alignant sur la politique partisane plutôt que sur la défense des intérêts des provinces ou des régions. Enfin, dans la mesure où le Sénat et la Chambre des communes seraient l’un et l’autre élus, il serait difficile de ne pas leur reconnaître les mêmes pouvoirs. Or, dans un système parlementaire, les deux Chambres ne sauraient véritablement avoir des pouvoirs égaux. Un tel système exige au contraire que la Chambre basse ait des pouvoirs supérieurs à ceux de la Chambre haute, car c’est de la première qu’émane le gouvernement et, par conséquent, c’est devant elle seule qu’il est responsable. À la longue, l’élection des sénateurs ferait probablement dériver le système parlementaire canadien en direction du modèle présidentiel américain. En effet, pour éviter l’affrontement entre les deux Chambres et la paralysie du processus décisionnel, le système devrait évoluer vers un assouplissement considérable de la discipline de parti et des règles de la responsabilité ministérielle. Quant au Québec, il ne saurait accepter une réforme du Sénat selon la formule « Triple E », dans la mesure où sa représentation à la Chambre haute diminuerait considérablement en valeur relative, en même temps que celle-ci se trouverait investie d’une légitimité démocratique lui permettant d’exercer des pouvoirs accrus. The western provinces and, to a lesser degree, the Atlantic provinces, support “Triple-E” Senate reform (an elected, equal and effective Senate), whereby each province would be represented by the same number of senators who would be elected by direct vote. This reformed Senate, thereby endowed with a democratic legitimacy comparable with the House of Commons, would exercise powers also comparable with the lower House. In the following study, the author examines this reform proposal in the light of comparative law and politics in the United States, Australia and Germany. He concludes that the Triple-E Senate must be rejected because it would lead to negative results, not only for Québec but also for the rest of Canada. The equal representation of all provinces in the Senate would be unacceptable on democratic grounds since the six smallest provinces would hold 60 % of the seats in the Senate whereas they only compose 17 % of the Canadian population. If absolute equality is rejected, another solution might be to increase western representation in the Senate. However, this would necessarily mean a diminution in Québec's representation, a result which Québec would have some difficulty in accepting. Moreover, although eminently democratic, an elected Senate would have serious consequences in the context of the Canadian parliamentary system, based as it is on the principle of ministerial responsibility, a bi-party system and party discipline. If the government holds a majority in both Houses, party discipline would ensure that the Senate would simply endorse the decisions made in the House of Commons. The Senate, under this hypothesis, would have very little purpose. On the other hand, if the party which holds a majority in the House of Commons and which forms the government is in a minority position in the Senate, the two Houses will oppose each other. In other words, if the Senate becomes elected, party discipline will force senators to vote in accordance with political partisanship rather than in defence of the interests of the provinces whence they were elected. Finally, to the extent that the Senate and House of Commons are both elected bodies, it would be difficult not to grant them the same powers. However, under a parliamentary system of government, the two Houses should not hold the same powers: such a system requires that the lower House be more powerful than the upper House since it is from the former that the government is derived, and as a result, to which it is accountable. The reform of the Senate to render it elected would probably move the Canadian parliamentary system in the direction of the American presidential system, since to avoid confrontation between the two Houses and a paralysis in decision-making, party discipline and the rules of ministerial responsibility would have to be considerably relaxed. For Québec, Triple-E Senate reform would be clearly unacceptable, because its representation in this body would be relatively diminished, and the Senate's new democratic legitimacy would permit it to exercise added powers.
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publisher Éditions Wilson & Lafleur, inc.
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vol. 23 no. 1 (1992)
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L’auteur examine cette proposition à la lumière du droit comparé américain, australien et allemand. Il aboutit à la conclusion qu’elle doit être rejetée, dans la mesure où elle entraînerait des effets négatifs, non seulement pour le Québec, mais également pour l’ensemble du Canada. En effet, l’égale représentation de toutes les provinces au Sénat serait inacceptable sur un plan démocratique, puisque les six plus petites provinces détiendraient ensemble 60 % des voix au Sénat, alors qu’elles ne représentent que 17 % de la population canadienne. Si l’on écarte l’égalité de représentation, une autre solution pourrait consister à augmenter la proportion des sièges attribués aux provinces de l’Ouest. Cependant, cela supposerait forcément une diminution de la proportion des sièges du Québec, que celui-ci ne saurait accepter. En outre, bien qu’éminemment démocratique, l’élection des sénateurs entraînerait de graves inconvénients dans le contexte d’un système parlementaire de type britannique, caractérisé par le principe de la responsabilité ministérielle, le bipartisme et la discipline de parti. En effet, si le gouvernement est majoritaire dans les deux Chambres, la discipline de parti fera en sorte que le Sénat se contentera d’entériner les décisions adoptées par la Chambre des communes. Dans cette hypothèse, l’existence du Sénat se trouvera donc dépourvue d’utilité. Au contraire, si le parti politique qui est majoritaire à la Chambre des communes — et qui forme le gouvernement — est en minorité au Sénat, les deux Chambres s’opposeront et se neutraliseront mutuellement. Autrement dit, si les sénateurs sont élus, la discipline de parti les amènera à voter en s’alignant sur la politique partisane plutôt que sur la défense des intérêts des provinces ou des régions. Enfin, dans la mesure où le Sénat et la Chambre des communes seraient l’un et l’autre élus, il serait difficile de ne pas leur reconnaître les mêmes pouvoirs. Or, dans un système parlementaire, les deux Chambres ne sauraient véritablement avoir des pouvoirs égaux. Un tel système exige au contraire que la Chambre basse ait des pouvoirs supérieurs à ceux de la Chambre haute, car c’est de la première qu’émane le gouvernement et, par conséquent, c’est devant elle seule qu’il est responsable. À la longue, l’élection des sénateurs ferait probablement dériver le système parlementaire canadien en direction du modèle présidentiel américain. En effet, pour éviter l’affrontement entre les deux Chambres et la paralysie du processus décisionnel, le système devrait évoluer vers un assouplissement considérable de la discipline de parti et des règles de la responsabilité ministérielle. Quant au Québec, il ne saurait accepter une réforme du Sénat selon la formule « Triple E », dans la mesure où sa représentation à la Chambre haute diminuerait considérablement en valeur relative, en même temps que celle-ci se trouverait investie d’une légitimité démocratique lui permettant d’exercer des pouvoirs accrus. The western provinces and, to a lesser degree, the Atlantic provinces, support “Triple-E” Senate reform (an elected, equal and effective Senate), whereby each province would be represented by the same number of senators who would be elected by direct vote. This reformed Senate, thereby endowed with a democratic legitimacy comparable with the House of Commons, would exercise powers also comparable with the lower House. In the following study, the author examines this reform proposal in the light of comparative law and politics in the United States, Australia and Germany. He concludes that the Triple-E Senate must be rejected because it would lead to negative results, not only for Québec but also for the rest of Canada. The equal representation of all provinces in the Senate would be unacceptable on democratic grounds since the six smallest provinces would hold 60 % of the seats in the Senate whereas they only compose 17 % of the Canadian population. If absolute equality is rejected, another solution might be to increase western representation in the Senate. However, this would necessarily mean a diminution in Québec's representation, a result which Québec would have some difficulty in accepting. Moreover, although eminently democratic, an elected Senate would have serious consequences in the context of the Canadian parliamentary system, based as it is on the principle of ministerial responsibility, a bi-party system and party discipline. If the government holds a majority in both Houses, party discipline would ensure that the Senate would simply endorse the decisions made in the House of Commons. The Senate, under this hypothesis, would have very little purpose. On the other hand, if the party which holds a majority in the House of Commons and which forms the government is in a minority position in the Senate, the two Houses will oppose each other. In other words, if the Senate becomes elected, party discipline will force senators to vote in accordance with political partisanship rather than in defence of the interests of the provinces whence they were elected. Finally, to the extent that the Senate and House of Commons are both elected bodies, it would be difficult not to grant them the same powers. However, under a parliamentary system of government, the two Houses should not hold the same powers: such a system requires that the lower House be more powerful than the upper House since it is from the former that the government is derived, and as a result, to which it is accountable. The reform of the Senate to render it elected would probably move the Canadian parliamentary system in the direction of the American presidential system, since to avoid confrontation between the two Houses and a paralysis in decision-making, party discipline and the rules of ministerial responsibility would have to be considerably relaxed. For Québec, Triple-E Senate reform would be clearly unacceptable, because its representation in this body would be relatively diminished, and the Senate's new democratic legitimacy would permit it to exercise added powers. Text Terre-Neuve Érudit.org (Université Montréal) Canada Revue générale de droit 23 1 81 107