Le dernier récital

Le Vinatier. Il devait être nécessairement enveloppé de brumes. Les contours étaient flous. Peut-être même posé ainsi au milieu, non plutôt aux confins de ville. Le Vinatier, l'empire des fous. C'était l'image, enfant, qui m'était suggérée. A vrai dire, c'était un lieu sans...

Full description

Bibliographic Details
Main Author: Pachès, Vincent
Language:French
Published: 2005
Subjects:
Online Access:http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=VST_086_0064
Description
Summary:Le Vinatier. Il devait être nécessairement enveloppé de brumes. Les contours étaient flous. Peut-être même posé ainsi au milieu, non plutôt aux confins de ville. Le Vinatier, l'empire des fous. C'était l'image, enfant, qui m'était suggérée. A vrai dire, c'était un lieu sans raison, tout ce qui était innommable semblait y être entreposé pour un temps non fixé.Pourquoi, pourquoi ? Très énigmatique, ainsi va la vie, m'a-t-on dit.J'étais enfant, dix ans dans les années soixante. Ma tante Marie que je ne connaissais pas avait été amenée et posée dans ce lieu que l'on nomme hôpital psychiatrique.Et cet empire pouvait être tout autant en ténèbres qu'en toundra avec ces chevauchées inépuisables.L'empereur aromatique distillait les parfums du monde.Le chat cyclope régnait en maître pervers.En quête de sens, je n'en mesurais que l'affolement quand on prononçait ces lettres HP.Seule ma tante Jeanne lui rendait visite selon un rituel bien établi. Un éclair au chocolat avalé avec un peu de gloutonnerie et puis rien, rien qu'une heure de présence. A ce que l'on dit, elle fut sans doute victime d'un mal-être. Une infirmière lui avait fait une piqûre, l'effroi avait tissé son visage. La déclaration fut sans appel, elle devait être nécessairement mise là où elle devait être. Personne pour s'opposer à cette sentence, ou y murmurer une certaine complicité.Destin fatal, auquel ma tante Marie a dû se raccrocher pour s'excuser auprès d'elle-même. Quarante ans plus tard, je me trouvais dans l'enceinte de l'hôpital psychiatrique du Vinatier. Trente-cinq hectares, des allées immenses, une chapelle, des arbres, des pavillons. Et dans un lieu exposés 800 objets. Auparavant, c'est-à-dire pour certains depuis 1920, ils somnolaient dans les sous-sols de l'hôpital. Leurs propriétaires les avaient confiés bon gré, mal gré, aux bons soins de l'établissement en même temps que leur santé.Rasoirs, bijoux, portefeuilles, lettres, etc., ils ne voulaient pas s'éteindre deux fois.Il fallait des mots, je leur ai inventé une parole.